vec le plan d'ouverture de Snake Eyes (1998), Brian De Palma lance la fiction en y ajoutant une exploration minutieuse du décor. Friand d'artifice et de trompe-l'œil, le réalisateur ne se contente pas de faire voyager son point de vue dans les coulisses et aux abords du ring au milieu de la foule. Il commence par emmener le spectateur d'un endroit à un autre selon le principe de "l'écran dans l'écran": le tout début du film montre ainsi une journaliste qui annonce le combat à l'extérieur du bâtiment, sous la pluie (2.). 

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Nous entendons le cameraman qui lui demande de recommencer la prise et nous nous apercevons qu'il ne s'agit pas d'un direct télévisé. La prise redémarre, le cameraman filme également l'arrivée du Secrétaire d'État à la Défense (3.) et, seconde surprise, par un mouvement vers la gauche, nous passons de la journaliste... à un écran retransmettant les images d'un boxeur saluant la foule (4.)... puis à celle d'un journaliste en smoking derrière lequel apparaît le ring. Leur image à tous les trois se trouvent en fait dans des moniteurs placés côte à côte. Grâce à l'écran de télévision, nous sommes habilement passés de l'extérieur à l'intérieur du bâtiment ce qui autrement aurait été difficile de relier en un seul plan.

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Nous restons sur le journaliste en smoking et apparaît alors le héros, l'inspecteur Rick Santoro (Nicolas Cage) (5.). L'inspecteur fixe alors l'objectif avec des yeux hallucinés, lui parle ("I'm on TV?") et cabotine avec la caméra avant de sortir du champs. Un mouvement de la caméra l'accompagne... et nous le retrouvons à côté des moniteurs, sur le plateau, en chair et en os, avec le journaliste où il est question de parier sur le match de ce soir. Si la première partie de ce plan-séquence place le spectateur sur le lieu de l'intrigue, la deuxième consiste à lui faire découvrir le labyrinthique lieu de l'intrigue à venir, avec, pour guide, Rick Santoro. 

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La mise en scène profite du passage d'un homme au premier plan, dont l'épaule remplit un instant tout le cadre entre les images 10. et 11., pour couper et faire un montage presque invisible à vitesse normale. C'est un "point de montage masqué". On pense évidemment à Rope (La Corde) d'Alfred Hitchcock, qui, pour régler le problème de la bobine (les bobines ne duraient que dix minutes), utilisait le même procédé pour couper et reprendre plus tard avec une nouvelle bobine. On coupe donc sur un plan avec cette même épaule disparaissant hors champs, et laissant apparaître Rick, le téléphone à l'oreille. Mais contrairement à Hitchcock, le but de cette coupe n'est pas uniquement de nature pratique. De part et d'autre de la coupe, Nicolas Cage n'occupe pas la même place. Ce "faux raccord" dynamise en fait son déplacement, et lance de façon énergique son exploration du décor. Une coupe presque similaire a lieu plus tard, nous y reviendrons.

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La caméra ne lâche jamais Rick. Il a beau monter ou descendre un escalier (13. 14. 15.), traverser un couloir en courant (19.), saluer un bookmaker (18.), ou essayer d'entrer la pièce où se trouve le boxeur-vedette Lincoln Tyler (19. 20.), la caméra le garde en plan poitrine (ou plan rapproché) en calquant sa vitesse et sans trembler une seule fois.

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Et lorsqu'il commence à discuter avec Jimmy George (Michael Rispoli) le bookmaker, la caméra s'immobilise (21. 22. 23. 24.). Cyrus (Luis Guzman) ouvre la porte de la pièce (23.) et Rick l'aperçoit (24.). 

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Santoro se lance à sa poursuite (25.), la caméra le suit toujours. À un moment donné, la caméra filme succinctement le mur séparant la pièce que traverse Rick (26.) de l'escalator où la poursuite continue (27.). Pendant ce court instant, une coupe de montage a lieu, invisible à la première vision.

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Le type que poursuit Rick saute au-dessus d'une grille à côté de l'escalator ce qui le fait marrer. Questionné une fois arrivé en bas, Rick exhibe sa plaque d'officier de police (31.) au policier qui lui demandait ce qu'il venait faire. Il contourne l'escalator (32.) et retrouve le voyou pris dans une impasse (33.), où Rick va lui prendre une liasse de billets (lesquels lui permettront de payer un pari au bookmaker).

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Rick retourne à l'escalator que le bookmaker descend justement (40.). Il le paie mais ce dernier refuse un billet taché de sang -qui aura son importance dans la suite du film- (41.). 

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Lincoln Tyler descend à son tour accompagné de ses gardes du corps (42.). Rick acclame Tyler en faisant le pitre (43.). Une coupe de montage a lieu lorsqu'un homme en noir passe devant la caméra et rempli l'écran presque entièrement en noir: nous remarquons ici très distinctement la coupe entre l'image 45. et 46. Dans l'action, cette coupe est évidemment invisible. 

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Puis Rick, coureur de jupon, drague une fille portant le numéro "7" tout en se rendant au ring (47. 48.), et lui confie son numéro de portable avant de s'éloigner d'elle. Son téléphone sonne et il décroche. 

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Tout en le suivant et en l'entendant parler dans son téléphone, nous découvrons avec lui les gradins et les milliers de spectateurs venus assister au match. Il y a d'ailleurs un travelling impressionnant où la caméra suit toujours Rick marchant devant un nombre important de figurants du public (images 51. à 60.) 

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Rick raccroche soudain en criant: "There he is!" (61.). Suivant son geste, la caméra balaie le champs à 180° vers l'endroit qu'il indique, et s'immobilise sur Kevin Dunne (Gary Sinise) (63.), son ami. Il y a un point de montage dans le rapide mouvement panoramique qu'effectue la caméra (62.) entre le plan de Rick et celui de Kevin. Cela permet entre les deux prises de déplacer le public de figurants, à savoir tous ceux qui se trouvaient du côté du stade que la caméra vient de filmer en suivant Rick auparavant, et cela donne ainsi une foule plus importante qu'elle ne l'est.

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La caméra devient immobile quand les deux amis se rejoignent (65.), quand Kevin explique qu'il est chargé de la sécurité du Secrétaire d'État en l'indiquant derrière lui (66.), mais suit son geste qui désigne le ring... (67.) où un homme fait un discours, lequel désigne à son tour le secrétaire d'État (68.)... 

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... vers qui la caméra s'oriente (69)... avant de retrouver Rick et Kevin (70.). Kevin amène ensuite Rick à un de ses agents de sécurité à qui il donne des instructions (74.)

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L'agent s'éloigne (75.) et Kevin en profite pour lui montrer un détecteur (76.) permettant de dire où il se trouve. Évidemment cet appareil sera important dans l'intrigue du film.  

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Les deux amis discutent tout en faisant le tour du ring (77. à 80.), puis le boxeur arrive sur le ring acclamé par le public et par Rick (81.). Dans les images 83. et 84., une jeune femme aux cheveux roux éclatants passe dans le champs, suivie du regard de Kevin (85.).

85.

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Les deux hommes s'assoient et discutent (86.). Dans ce plan, nous pouvons voir le Secrétaire d'État assis au deuxième rang (86. 87. et 88.) derrière Kevin. Ce dernier tourne le regard vers l'intrigante magnifique rousse. 

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Il y a une coupe encore dans le mouvement rapide (89) quand la caméra panoramique de Kevin à la rousse (90.). Lors du retour vers Rick et Kevin, la caméra n'occupe plus la même place... tout comme le Secrétaire d'État! (91.) Ce dernier a dû avancer d'au moins une place vers sa droite. Il se trouve ainsi toujours derrière Kevin, au niveau de son épaule. C'est évidemment une astuce (très audacieuse) du réalisateur pour que le personnage important, celui qui doit occuper l'esprit, le Secrétaire d'État, soit toujours dans le plan. Évidemment, le public n'y voit que du feu.

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Rick survolté, se lève et crie: "I am the King!" (93)... et le match démarre. La caméra cadre le visage inquiétant du manager de Tyler (95.). Rick est surexcité par le match tandis que Kevin s'intéresse à la rousse (96.). 

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Il se lève finalement (101.) pour aller lui demander son billet (103), mais elle profite d'un moment d'inattention de Kevin pour s'enfuir (104.). 

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Il se lance à la poursuite de l'inconnue (105.), et un rapide pano nous fait revenir sur Rick pris par le match (107.). Ce dernier s'inquiète néanmoins de ne plus voir son acolyte (108.).

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L'inspecteur décroche son portable, tandis que derrière lui, l'assistant du Secrétaire d'État se lève et s'éloigne (110.) laissant le Secrétaire d'État quasiment seul avec un seul garde. Une autre jolie fille arrive (Carla Gunino) (111.) et aborde le Secrétaire d'État (114.). 

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La mise en scène devient plus complexe. La caméra passe de Rick survolté à un autre personnage inquiétant sur lequel elle s'attarde (116.)...

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... revient sur Rick qui réprimande un coup de tête donné contre Tyler (117.) et retourne sur le personnage inquiétant qui crie: "Here comes the pain!" (118.) avant de se faire maîtriser par la sécurité. Rick observe la scène, avant de regarder à nouveau le match que son champion est en train de perdre (120.). 

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Pendant ce temps, la fille en blanc a une conversation animée avec le Secrétaire d'État (121.). Le téléphone de Rick sonne à nouveau, il décroche(124.), c'est la fille au "numéro 7".

Fin du plan-séquence à 12 minutes 33. (125.) 

125.

126a.

127.

128.

Le contrechamps montre le public derrière le ring, la fille qui agite le numéro 7 et qui pousse soudain un cri lorsque des coups de feu sont tirés. 

Rick reçoit du sang (128.) et la blonde s'est soudain relevée. Dissimulateur audacieux de secrets invisibles à la première vision de ses films, de ce qu'on appelle des "seconds regards", Brian De Palma montre à l'image 126a (voir 126b.). le sniper qui a tiré caché dans un pilier lumineux derrière les spectateurs du public : 

126b.

Évidemment, personne ne s'en rend compte à la première vision du film.

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La scène de 129. à 132. est tournée au ralenti. La caméra dézoome de la main ensanglantée de Rick, à l'affût du tireur embusqué (130.) qui se retourne vers la fille quand celle-ci est touchée au bras (131.), et se jette sur elle (132.) 

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Panique dans le stade. 

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Dans l'agitation, la (fausse) blonde a perdu sa perruque et ses lunettes de vue qu'un inconnu écrase du pied (138.). Elle se relève et s'éloigne (141.).

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Rick remarque soudain que son boxeur fétiche à terre n'était pas vraiment K.O. (138.). Le match était truqué. Les deux hommes s'échangent un regard (144. 145.). Enfin nous voyons du point de vue de Rick son ami Kevin Dunn abattre le tireur embusqué (147.), mais il y a manifestement beaucoup de secrets derrière cet attentat. L'intrigue est lancée...

Romain Desbiens