(2007)

 

L'HISTOIRE

 

Un petit groupe de soldats américains en garnison à un poste de contrôle en Irak. La succession de points de vue différents permet de confronter l'expérience de ces jeunes hommes sous pression, de journalistes et collaborateurs des médias avec celle de la communauté irakienne locale afin de faire la lumière sur les conséquences désastreuses que le conflit actuel et leur rencontre fortuite ont eues sur chacun d'eux.

 

  Avec : Kel O'Neill, Ty Jones, Daniel Sherman, Izzy Diaz, Francois Caillaud.

 

  Sortie USA : 16 novembre 2007

  Sortie France : 20 février 2008

  Scénario : Brian De Palma

  Montage : Bill Pankow

  Direction artistique : Michael Diner

  Image : Jonathon Cliff

  Titre original : Redacted

  Réalisation : Brian De Palma

CRITIQUE

 

De Palma prend un sujet encore d'actualité (le conflit en Iraq), et fait de son film une charge violente envers les autorités américaines et leurs mensonges concernant cette guerre. A l'instar du faux happening "Be Black Baby" dans Hi! Mom (1970), Redacted est un docu-fiction contestataire, tourné en HD avec 5 millions de dollars de budget. Il raconte une histoire fictive inspirée de faits réels (le viol d'une jeune Irakienne, assassinée avec sa famille par des soldats américains). Plus précisément, le film reste centré sur un groupe de GI, issus de différentes catégories sociales, à un poste de contrôle en Irak, en alternant les points de vue de chaque protagoniste (les soldats, parfois acteurs parfois victimes, filment, photographient, et racontent leur histoire sur Internet). Dans les années 60, Brian De Palma a commencé à réaliser des films documentaires comme The Responsive Eye, une expérience qui le conduira petit à petit vers des films plus expérimentaux comme Dyonisus in '69... Il devient vite une figure importante du cinéma underground américain. A l'époque, De Palma évite tout juste d'entrer dans l'armée américaine pour combattre au Vietnam, et fait un film antimilitariste : Greetings. Quarante ans ont passé. Entre-temps, Brian De Palma est devenu plus connu grâce à sa virtuosité technique, d'une précision chirurgicale, et à des choix plus commerciaux. Mais dans chaque film, il y a toujours une grande part d'ironie et de satyrisme (à peine dissimulé) sur la société et la politique. Dans Casualties of War, réalisé bien après la fin de guerre du Vietnam, le réalisateur raconte un drame inspiré de faits réels similaires à ceux de Redacted sur le viol et le meurtre d'une jeune vietnamienne, qui l'ont obsédé durant des années. Le film, réalisé après Les Incorruptibles, surprend.

 

 

Cette fois-ci, De Palma va beaucoup plus loin avec Redacted. Le film nous plonge vite dans l'enfer du conflit Irakien crûment éclairé par le réalisateur, insistant avant tout sur les dommages collatéraux causés par l'occupation militaire américaine. Et au fil de son récit fragmenté, De Palma montre le désoeuvrement et la faiblesse physique et psychique des jeunes soldats US inexpérimentés, la peur les détruisant moralement ou les transformant en bêtes haineuses sur le terrain, et les civils irakiens, principales victimes innocentes de cette guerre. Le pouvoir de l'image, un des thèmes chers à De Palma que l'on retrouve dans quasiment toute sa filmographie, n'est plus ici un thème mais un des sujets importants du film. Cette guerre très médiatisée en Irak est présentée de la façon la plus actuelle et la plus réaliste qui soit. En l'occurrence, De Palma utilise des procédés non cinématographiques pour reconstituer le parcours barbare de ses personnages principaux. Le réalisateur va même jusqu'à placer des transitions graphiques facilement trouvables sur des logiciels de montage pour amateurs, insistant ainsi sur la mise en abyme. Les images de l'Irak de De Palma font écho à une avalanche de sources d'informations qui se multiplient dans le monde, et qui finissent par nous submerger. Images de la caméra DV des soldats ou des terroristes, images d'une caméra de surveillance, d'un documentaire par des journalistes français, images d'une page de Youtube, d'un Blog avec le discours de la femme d'un GI, etc. Le réalisateur donne une épaisseur à cet assemblage judicieux d'images, et parvient à redonner un sens à ces fragments d'histoires qui augmentent chaque jour. Pour aller au bout de sa démonstration, le réalisateur n'engage pas d'acteurs célèbres pour interpréter les jeunes soldats. 

 

 

On peut insister sur la réalisation technique absolument neuve, inédite et novatrice, d'autant que cette méthode de collage vidéos est donc justifiée par le choix du sujet. Et on peut être sûr que l'on parlera en mieux de Redacted d'ici quelques années. Car bien sûr, cette véritable réflexion sur l’actualité politique et la nature humaine a remis en question le patriotisme du réalisateur. Une importante polémique aux USA a donc été lancée par des journalistes qui ont lourdement critiqué le film et surtout son réalisateur, parfois en direct à la télévision. Un Blog de boycott anti-Redacted a même été créé. Et De Palma n'est pas au bout de ses peines puisqu'un dirigeant de Magnolia, la société qui a produit le film, a censuré certains passages du film. Le titre "Redacted" qui n'a pas été choisi involontairement, prend soudain une dimension ironique. Le réalisateur qui voulait montrer une violence crue, celle qui est censurée dans les médias, se retrouve avec un film où des scènes sont barrées au feutre noir (les yeux des victimes dans les photos finales, les noms sur les pages Youtube, etc.). 

 

 

Le film garde néanmoins toute sa force et reste un témoignage important, témoignage pour les générations à venir, témoignage contre la bêtise humaine, témoignage d'un cinéaste traité d'affreux jojo ou de communiste, qui nous oblige à réexaminer de manière radicale les filtres à travers lesquels nous voyons et acceptons les événements mondiaux, le pouvoir de l'image médiatisée et l'influence exercée par la présentation des images sur ce que nous pensons et ce que nous croyons. On ressort de ce documentaire fictionnel profondément et durablement marqué, et scandalisé. Parmi toutes les images du film, on peut remarquer celle où De Palma résume ce qu'il pense de la guerre en Irak en un seul gros plan, issu d'une caméra d'un GI, dans le début du film, où l'on voit un scorpion qui meurt sous les attaques de fourmis, petites mais nombreuses. C'est une expérience unique, où De Palma oblige le spectateur à réexaminer sérieusement la façon dont il voit et accepte les événements diffusés dans les médias. Redacted est un film majeur de sa filmographie.

Romain Desbiens